25ème dimanche, année C, Lc 16,1-13 /
Je ne sais pas ce qu’il en est de votre rapport à l’argent, mais peut-être vous dites-vous, comme moi, que le discours culpabilisant de l’Église sur l’argent, « on en a suffisamment soupé ! ». Ne constatons-nous pas que l’argent peut apporter beaucoup dans une vie ? Sécurité, paix face à l’avenir, confort, santé ?… Lisant cet évangile depuis un pays marqué par une pauvreté chronique, je ne peux m’empêcher de constater combien le manque d’argent est source de multiples maux : difficulté de scolarisation, non accès aux soins, corruption, rivalités entre proches… L’évangile de ce jour ne peut-il pas nous ouvrir une approche plus nuancée et plus juste de l’argent ? Puisque d’une part, dans ce texte, le « maître fit l’éloge » du gérant trompeur ayant utilisé l’argent à une fin durable : « se faire des amis, afin que, le jour où l’argent ne sera plus là, ces amis l’accueillent dans les demeures éternelles. » (cf. Lc 16, 9) ; et que, d’autre part, le texte dénonce l’Argent trompeur qui ne doit surtout pas devenir notre maître, notre « dieu » ! L’argent est donc utile, mais trompeur : pas une fin, mais un moyen ; pas qu’à moi, mais pour tous ; pas une grande affaire, mais une toute petite affaire !
Pas une fin, mais un moyen…
« Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et l’Argent (littéralement Mamon)! » (Lc 16,13) Voilà bien la pointe du texte, non pas la remise en cause de l’outil argent, mais la mise en garde que ce serviteur peut nous asservir et devenir notre maître, notre dieu. D’où le terme employé avec une majuscule désignant, ici, l’Argent personnifié et divinisé. Il n’est pas nécessaire d’aller chercher bien loin les multiples exemples du dieu Argent qui asservit les hommes et le monde. La crise financière et économique mondiale, ainsi que les regards obnubilés par les indicateurs économiques l’illustrent parfaitement. Mais l’évangile fait aussi l’éloge de ce gérant trompeur qui réussit à tromper l’Argent-trompeur, d’une certaine manière, en le ramenant à ce qu’il devrait toujours être : un outil au service de l’essentiel de nos vies, exprimé ici en termes de moyen pour se faire des amis. Car l’Argent est aussi trompeur lorsqu’il nous promet le bonheur alors qu’un jour « il ne sera plus là ! » (Lc 16,9) Revenons donc toujours à l’essentiel de nos vies : l’amitié, la fraternité, l’amour envers les hommes et envers Dieu, qui eux sont durables et passeront la mort ! Utilisons-nous effectivement l’argent comme un outil au service de cette fin ?
Pas qu’à moi, mais pour tous…
Une deuxième tromperie de l’Argent consiste à nous faire croire qu’on le possède uniquement pour nous, alors que nous n’en sommes que les gérants. Tous les biens de la Terre sont donnés gratuitement par le Seigneur au service de l’humanité entière. Bien sûr nous avons droit à un juste salaire, et nous avons gagné (en principe) l’argent que nous possédons, mais, si l’on y réfléchit un peu, que peut bien vouloir dire qu’au Canada ou en France le revenu mensuel moyen par foyer soit environ de 2700€ (3700$) alors qu’au Togo il est de 30€ (40$) ou encore de 11€ (15$) au Congo RDC ? Je sais bien que ces chiffres bruts ne veulent pas dire grand-chose, mais tout de même !!! « Se faire des amis avec l’argent trompeur », au sens de l’évangile n’a donc certainement rien à voir avec ces gens très riches entourés d’une cour superficielle profitant des largesses de ces nantis ; mais cela a certainement à voir avec cette autre parole de l’Évangile : « Ce que vous avez fait à l’un de ses petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! » (Mt 25,40) Nous mettons beaucoup d’énergie à acquérir de l’argent, mais quelle énergie mettons-nous pour inventer de nouvelles solidarités, des relations plus équitables, une meilleure répartition de l’accès aux biens de la Terre ?
Pas une grande affaire, mais une toute petite affaire…
Le troisième enseignement de notre page d’évangile nous permet, lui aussi, de mettre les choses en perspectives : « Celui qui est digne de confiance dans une toute petite affaire est digne de confiance aussi dans une grande. […] Si vous n’avez pas été dignes de confiance avec l’Argent trompeur, qui vous confiera le bien véritable ? » (Lc 16,10-11) La parole du Christ exprime que la bonne gérance de nos biens est une chose bonne, mais que ce ne doit pas être la grande affaire de notre vie. Cette gérance n’est certainement qu’un lieu d’apprentissage pour la gestion du bien véritable, du trésor qui est nôtre et non pas « étranger », c’est-à-dire les richesses du Royaume de Dieu ! Être dépositaire des richesses du Royaume –la fraternité, la justice, la paix, la foi, l’espérance, la charité…– et les faire fructifier, voilà ce qui devrait être la grande affaire de notre vie !
Alors non, ne dévalorisons pas l’outil argent, mais reconnaissons :
Qu’il n’est pas une fin, mais un moyen,
Qu’il n’est pas que pour moi, mais pour tous,
Qu’il n’est pas la grande affaire de notre vie, mais « qu’une toute petite affaire » !
Cet Évangile nous fait penser à une vraie histoire qui s’est passée dans la vie de Don Tonino Bello, évêque italien mort en 1993 et béatifié en février dernier.
Un prêtre de son diocèse décédé, laisse en héritage un joli montant et un appartement qu’il avait destiné au séminaire. La famille du défunt voulant avoir sa part d’héritage, amène l’affaire devant la justice. Don Tonino renonce à l’héritage et écrit au juge:
‘J’espère vous rencontrer encore…dans une affaire d’héritage où un prêtre m’aurait nommé comme héritier universel des dettes qu’il aurait contracté pour aider les pauvres’
On peut dire vraiment que l’argent était pour lui une ‘toute petite affaire’
En fait, cette mise en garde sur les deux maîtres « opposés et exclusifs », je ne l’ai vraiment jamais comprise : qu’on puisse aimer avoir de l’argent et aimer Dieu et son prochain quand même, ça m’a toujours paru possible. D’ailleurs la pauvreté n’est pas une pépinière de vertu ! Aussi, le « discours culpabilisant de l’Église sur l’argent » m’a toujours semblé plus ou moins folklorique.
Mais c’était avant d’avoir vu la vidéo sur les résidences d’Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé en France et au Maroc… Là j’ai compris combien l’amour du luxe peut avaler un homme. Le titre d’un reportage télé, dont on peut aussi voir quelques extrait sur YouTube, est : « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé, l’amour fou ». J’ai compris, grâce à votre commentaire de cette semaine, Benoît, ce titre qui au premier regard semble vouloir révéler le grand amour entre Saint-L et Bergé. Mais plus profondément, toutefois, c’est plutôt la particule « l’amour fou » qui est en réalité montrée dans ce reportage : l’amour de l’argent peut aller jusqu’à rendre fou ; les intérieurs chargés, sur-surchargés d’objets de « collection » en sont un témoignage. Le beau ici couvre comme un voile l’égoïsme sinon surtout la folie qu’il révèle en même temps. Ce qu’il faut questionner, en effet, c’est la finalité de ces achats compulsifs d’objets aussi superbes que très chers. Ce qu’il faut questionner aussi, c’est d’où venait tout l’argent qui permettait tous ces achats fabuleux ? De la vente de robes et de bijoux ? Il aura fallu que le beau « messieu » en vende de la guenille, comme on dit dans les milieux de la mode ! Troublant. Moi qui aime les-beaux-objets-qui-coûtent-chers, je frissonne maintenant rien qu’au souvenir de cet homme qui aura perdu de vue l’essentiel !